"Le coeur
contraint, je me suis abstenu des années durant de faire
imprimer ce livre pourtant achevé. Le devoir envers ceux qui
étaient encore en vie l'emportait sur celui envers les morts.
Mais aujourd'hui que, de toute façon, la Sécurité d'Etat
s'est emparée de l'ouvrage, il ne me reste plus rien d'autre à
faire qu'à le publier sans délai." Alexandre
Soljénitsyne, septembre 1973.
L'archipel du Goulag
n'est pas un roman. Bien qu'il soit parfois difficile de le
croire, il ne s'agit pas d'une fiction, mais d'un essai
d'investigation littéraire construit à partir du témoignage
de 227 personnes, outre l'auteur lui-même, qui ont été les
victimes des persécutions infligées à l'aveuglette par l'Etat
communiste soviétique.
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L'histoire
: Elle est commune à
tous ceux qui ont vécu, d'une manière ou d'une autre, les
arrestations, les interrogatoires, les tortures, les jugements
et enfin, le système concentrationnaire soviétique, ou Goulag,
organisme essentiel de la politique de terreur prônée par
Staline et ses hommes. L'oeuvre se décline en trois tomes et
six parties, le premier tome n'évoquant que les deux premières
étapes du circuit : l'arrestation et l'arrivée au Goulag.
La première partie, appelée par
l'auteur : "L'industrie pénitentiaire", fait le
récit stupéfiant des premières épreuves subies par les
cibles, aussi nombreuses que variées, du gouvernement russe.
Aucun homme, aussi proche des idées de l'Etat soit-il, ne
saurait être à l'abri : intellectuels, scientifiques,
militaires, nepmen, ouvriers, paysans, étudiants, anciens
prisonniers de guerre, tous, absolument tous peuvent tomber dans
les mailles du filet des organes, sorte de milice
gouvernementale ayant pour fonction de piéger ses hommes et de
les conduire hors de la civilisation. Après l'arrestation
viennent les premiers séjours dans les prisons d'Etat, et les
interrogatoires. La torture, qui avait totalement disparu au
temps du tsar Nicolas II, est redevenue l'outil principal de ces
policiers d'un autre temps,et soutire aux plus innocents d'entre
ces prisonniers les aveux qu'on leur demande. De prisons en
tribunal, de tribunal en wagons de trains, ils partent tous,
encore hébétés, vers l'archipel du Goulag, lieu de
non-existence suprême pour ceux que l'on a retranchés du genre
humain. Nous arrivons à la deuxième partie, consacrée à la
découverte des camps de concentration (Hitler n'était pas le
créateur qu'on pourrait croire) et à la nouvelle vie
réservée aux détenus, faite de travail, de souffrances, de
maladie, de faim et de mort.
L'avis du
webmaster : Tous les
fascismes se ressemblent. On peut s'en assurer aisément en
comparant l'oeuvre de Soljénitsyne et celle de son homologue
Italien Primo Lévy (Si c'est un homme). On retrouve dans
ces deux témoignages la même organisation froide et
systématique, les mêmes raffinements dans l'horreur, cette
même perte d'identité de l'être humain, cette même rage de
faire connaître les événements improbables qui les ont
déracinés et anéantis. Cependant, l'oeuvre de Primo Lévy
s'attachait surtout à nous faire le récit de l'expérience
personnelle de l'auteur, dans le cercle, somme toute restreint,
du camp de Auschwitz. La vision de Soljénitsyne est plus large.
Ayant rassemblé 227 témoignages d'hommes et de femmes de tous
les âges et de toutes les conditions, il nous offre le tableau
effroyable de toute une période de l'histoire du communisme
soviétique. Au-delà du témoignage d'un qui a vécu ses heures
terribles, on découvre ici un véritable documentaire
retraçant avec précision l'un des mécanismes les plus
essentiels du "règne" de Staline : l'élimination
méthodique d'un nombre immense de citoyens de l'U.R.S.S.,
analysée avec soin dans le cadre d'un véritable travail
d'historien ; il ne s'agit plus uniquement de savoir, il est
aussi de notre devoir de comprendre ces événements, de les
replacer dans le contexte le plus précis, sans admettre
l'inexactitude.
L'oeuvre de Soljénitsyne est
admirable autant qu'épouvantable. La force de son contenu est
soutenue par le génie méthodique de son auteur, qui utilise de
la même façon la compassion, l'humour, la tendresse,
l'indignation. Il contribue ainsi à nous rendre plus
supportables la cruauté impitoyable de certains passages. L'un
des ouvrages les plus importants qui m'ait été donné de lire
sur cette période de l'histoire soviétique.
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