@ livre ouvert
: Vous avez choisi de retranscrire l'histoire de votre
village sous un angle un peu particulier, celui de la
religion... Benoît
Caurette : J'ai fait cela pour une raison très simple.
Durant des siècles, le clergé a occupé une place très
importante dans la vie de Bard. Pour ces hommes très croyants,
il s'agissait d'une sorte de maître à penser. A peu de choses
près, on peut considérer que le curé du village était une
sorte de seigneur, à qui l'on devait rendre de nombreux
services et payer des impôts. L'autorité du prêtre est
rarement contestée, il a sa place partout au coeur de la vie
villageoise, sans que personne n'y trouve rien à redire. Le
curé occupait aussi une place particulière parce qu'il était
l'un des rares hommes lettrés du village. A une époque où
tout passait par l'écrit, c'est à lui qu'il fallait s'en
remettre pour s'occuper de certaines affaires, publiques ou
privées. En cela, il rendait d'énormes services à la
communauté. @.L.O.
: Le premier volume de votre trilogie s'ouvre sur une
période très tourmentée... B.C.
: Une période très noire, oui. Nous sommes au lendemain de
la guerre de Dix ans, qui correspond en fait à la période
comtoise de la guerre de Trente ans. A cette époque, les
villages de Franche-Comté ont tous été brûlés, et leurs
habitants passés au fil de l'épée. Avant 1644, la
Franche-Comté est espagnole, et le restera d'ailleurs jusqu'en
1678. Il est difficile de raconter avec précision les
événements qui se sont déroulés à Bard-Lès-Pesmes avant la
fin de la guerre de Dix ans, puisque de nombreux documents ont
été détruits en même temps que les murs... @.L.O.
: Mais le village existait avant cette guerre ? B.C.
: Il a été attesté au 12ème siècle, ce qui ne veut pas
dire qu'il n'avait pas d'existence auparavant. Ce que l'on peut
dire, c'est qu'il y avait une famille de seigneurs de Bard qui
régnait sur le village. @.L.O.
: On peut donc dire que 1644 est une date symbolique pour le
village. B.C.
: C'est à partir de cette année-là qu'il va renaître de
ces cendres. Certains habitants ont pu échapper au massacre et
sont revenus à la fin de la guerre pour reconstruire
Bard-Lès-Pesmes. Leurs effectifs ont été renforcés par des
colons "étrangers" qui avaient été également
privés de toit. La communauté se réorganise tout doucement,
commence à bâtir quelques maisons... @.L.O.
: On assiste également au renouveau de la vie religieuse. B.C.
: Au départ, il n'y a pas de curé qui s'occupe du village
à part entière. Jusqu'en 1712, il est desservi par le prêtre de Brésilley,
un village voisin, dont l'église était considérée comme la
"mère" de celle de Bard. Et puis, en 1712, l'abbé
Belleney devient le curé de Bard. Les villageois ont enfin
obtenu ce qu'ils désiraient : une paroisse autonome.
@.L.O. : Et à
partir de là...
B.C. : Il
se passe quelque chose de très important, en 1733 : la
communauté est affranchie par le seigneur. Ce qui signifie que
les Bard-Lès-Pesmois deviennent un peu plus libres. Certaines
taxes disparaissent (même si le seigneur s'empresse de les
remplacer par d'autres, il n'y a pas de grand changement pour
les paysans dans le domaine financier !), certaines mesures
permettent aux villageois de posséder quelques biens, alors
qu'auparavant ils n'étaient que des serfs.
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Il y avait des
villages en Franche-comté qui avaient connu cet
affranchissement presque un siècle plus tôt, et d'autres,
seulement quelques années avant la révolution. En la matière
nous n'étions pas tellement en retard, mais pas tellement en
avance non plus...
@.L.O. : C'est
alors que, dix ans plus tard, une nouvelle catastrophe frappe la
communauté.
B.C. : C'est
en 1742 que survient le grand incendie qui réduira en cendres
une partie du village, entre autres les hébergeages de la cure.
Une vraie calamité, si l'on ajoute à cela les récoltes
détruites par les grêles l'hiver précédent et
l'anéantissement de nombre de têtes de bétail,
vraisemblablement à cause de la fièvre aphteuse. Tout doit
être reconstruit. Et puis, les années passent. En 1753,
l'abbé Garnier fait bâtir une nouvelle église.
@.L.O. : On
assiste à cette occasion à une mobilisation de tous les
villageois.
B.C. : Cette
église n'avait pas été réparée depuis la guerre de Dix ans.
Au cours du siècle, elle s'était beaucoup délabrée. Il a
fallu la détruire entièrement, puis la reconstruire. Pour
financer les travaux, les paysans ont vendu de grandes
quantités de bois. Tous les habitants ont participé à
l'édification de leur église, sous l'égide d'un entrepreneur
qui avait été engagé. C'est à partir de cette époque que
démarre une période de grands travaux. D'abord l'église, puis
vingt ans plus tard, avec l'abbé Cornu, des chapelles, des
calvaires, et une nouvelle cure. Tout cela, une fois de plus, à
la sueur des villageois.
@.L.O. :
L'abbé Cornu est parti depuis quatre ans lorsque la révolution
commence...
B.C. : La
succession est assurée par l'abbé Chaveriat en 1785.
Seulement, lorsqu'en 1791 on lui demande de prêter serment à
la Constitution Civile du Clergé, et de ce fait de se déclarer
comme un fonctionnaire de l'Etat, celui-ci s'y refuse et prend
la fuite. C'est alors qu'un certain François Régnier, un
ancien prêtre, revient à Bard, qui était le village de ses
pères, officiellement pour y exercer la profession
d'agriculteur. En fait, il reprendra clandestinement son
ancienne fonction et célébrera, caché dans les caves du
village, des messes clandestines. Certains villageois y
assisteront, d'autres, non.
@.L.O. : Les
détracteurs de l'abbé Régnier étaient donc des
révolutionnaires ?
B.C. : On
ne peut pas dire qu'il y ait eu de véritable prise de
conscience politique chez les Bard-Lès-Pesmois. Les
bouleversements de la révolution ont plutôt servi de prétexte
pour régler des comptes personnels, plus particulièrement
entre la famille Régnier, une famille assez riche, et la
famille Henry.
@.L.O. : La
fin de la période révolutionnaire marque également la fin de
votre premier ouvrage...
B.C. : En
1803, lorsque le calme revient, l'église ouvre à nouveau ses
portes. L'abbé Régnier, tout royaliste qu'il était, avait
prêté serment à la Constitution Civile du Clergé. Il lui est
donc permis à présent de reprendre ses fonctions de façon
officielle. C'est le début d'une nouvelle période, durant
laquelle l'Eglise retrouvera toute sa force et son influence,
que ce soit à Bard-Lès-Pesmes que dans tout le pays. C'est ce
qui constituera le thème principal du deuxième tome de mon
ouvrage, qui est encore en cours d'écriture...
L'ombre du
clocher, tome 1 : Le chemin des miséreux, par Benoît Caurette.
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