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Chaque semaine, une nouvelle rogne, une nouvelle joie, un nouveau petit coup de cafard. Leur point commun ? C'est la littérature qui les  a causés... A quoi ça sert de savoir lire, alors ?

Cette semaine : 

Comme un roman ?

 

  Il arrive parfois que je me lève très tôt. D'aucuns diraient : outrageusement tôt. Rassurez-vous, ces accidents se produisent somme toute rarement, mais de ce fait, ils en deviennent automatiquement mémorables.

   Il arrive également que, m'étant réveillée de bonne heure, une audace tout à fait inhabituelle se saisisse de moi et que, d'un geste sûr et magistral, j'allume la télévision et zappe sur, je vous le donne en mille, la première chaîne. TF1, oui. 

   Il arrive même que cet état second induit par le demi-sommeil et les premières lueurs du jour me pousse, dans un enthousiasme proche du délire mystique, à m'asseoir sur mon canapé (il est bleu, très joli) et à regarder. Regarder TF1, veux-je dire. Oui, plus de vingt secondes. Le bol du petit-déjeuner à la main. Inconcevable ?

   Vous seriez surpris d'apprendre que, aux alentours de six heures du matin, durant l'été, on puisse trouver sur le premier canal un programme intéressant (un seul, oui). Il s'agit d'une série de reportages, un par jour, si je ne me trompe, ayant pour but de donner à voir au téléspectateur pantouflard et casanier quelques très belles images de villes étrangères, plus ou moins lointaines, présentées sous différents angles, politique, économique, touristique, historique, artistique, etc. J'en viens au fait.

   Un matin, donc, que je m'étais levée exceptionnellement tôt, poussant l'audace jusqu'à allumer la télévision sur la première chaîne dans le but de la regarder (je tiens à l'italique), je tombe sur l'un de ces reportages, m'emmenant cette fois dans la ville de Saint-Pétersbourg. L'une des étapes de cette visite se trouve être un immeuble, vieux, délabré, pas artistique pour un sou, mais dont la particularité nous est bien vite expliquée par un petit groupe d'habitantes : il s'agit de l'immeuble de Raskolnikov, le héros de Crime et châtiment, dans lequel le jeune homme commit le meurtre de sa logeuse, initiant ainsi à la fois son destin et le chef-d'oeuvre de Dostoïevski. Jusque là, rien de vraiment extraordinaire. La surprise vient de la façon dont ces quelques Pétersbourgeoises présentent le lieu, comme si Raskolnikov avait été un personnage historique, et que son célèbre crime avait été immortalisé, non pas dans les pages d'un roman, mais bien dans celles d'un journal de l'époque. Et de montrer du doigt, fièrement, la fenêtre du petit logement sombre dans lequel le jeune homme avait vécu, et de désigner la porte de la logeuse, et l'endroit exact où fut proféré le meurtre...

   Douterez-vous encore du pouvoir de la fiction ? Il est bien possible, en effet, que l'adresse notée par l'écrivain fût réelle, et que sa description de l'immeuble fût fidèle à la réalité. Mais le fait est que son génie parvient encore, près de deux siècles plus tard, à entretenir cette idée que Raskolnikov fut un homme de chair et de sang. 

   Je n'en dirai pas plus, sinon qu'après la fin du reportage, la télévision à nouveau éteinte, je me souviens avoir pensé clairement que les raisons que j'avais de tant aimer la littérature se trouvaient toutes rassemblées là, en ces quelques mots russes prononcés lors de l'incroyable visite du bâtiment que hante, aujourd'hui encore, le fantôme d'un homme qui n'a jamais existé...

 

Réagissez ! (que diable...)

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